Ces liens faibles qui nous liaient
Ces liens faibles qui nous lient, ou plutôt qui nous liaient, sont partis doucement sans qu’on s’en rende compte. Un autre effet secondaire de la crise sanitaire, mais pas un effet moindre.
Les liens faibles, qu’est ce que c’est ?
On connaît de plus en plus la notion de signaux faibles, qui sont ceux qu’on ne voit pas vraiment, mais qu’on perçoit du coin de l’œil si on y prête un peu attention. Mais ce sont eux qui font sens, qui construisent finalement ce qui se passe ensuite.
Et bien les liens faibles ce sont aussi ceux qu’on ne voit pas, ceux qui nous structurent et structurent notre environnement, dont on ne constate pas encore la disparition. Les liens faibles, ce sont toutes ces personnes qu’on ne connaît pas. Sur les dizaines de personnes que l’on croisait régulièrement dans son quartier, à la boulangerie, à son club de sport, dans son bar ou son restaurant favori, avec combien sommes-nous encore en lien en ces temps de pandémie, combien parmi eux n’ont pas disparu de notre radar personnel, combien en suit-on sur les réseaux sociaux ?
Les liens faibles, c’est une expression créé en 1973 par un sociologue de l’université de Stanford, Mark Granovetter, qui les a définis comme ces liens de connaissances, de personnes dans notre cercle périphérique. Le sociologue pense que les personnes en marge de notre quotidien ont autant d’importance pour notre équilibre et notre bien-être que les personnes de notre cercle intérieur.
Qu’est que ce que la COVID a changé pour nos liens faibles ?
Où sont donc passés ces liens faibles qui constituaient une partie de notre univers d’avant COVID, et par quoi les a-t-on remplacés ? Parce qu’on sait d’expérience que l’humain comme l’univers n’aiment pas le vide, et si on ne ressent pas forcément directement le manque, ils manquent tout de même. D’ailleurs, maintenant qu’on en a parlé, tu les perçois ces liens faibles, ces visages connus, ces sourires juste croisés ? Il y en a forcément un qui arrive à ta mémoire…
Alors, quid de la sérendipité sociale, qui disparaît en silence au profit de liens pré-organisés via Zoom ou autres, régie par les rares présentiels rigides qu’on doit s’imposer ? Quel est le risque de laisser s’échapper ces liens faibles pour de bon ?
Et bien le risque c’est l’entre-soi, ce fameux écueil déjà façonné par les réseaux. Si on like toujours les mêmes contenus, l’algorithme ne proposera plus que des contenus similaires, toujours les mêmes personnes, et l’idée même d’une pensée contradictoire aura disparu de notre horizon. C’est ce qu’on risque ici aussi, de ne plus être contredits en restant dans le confort de l’entre-soi, en plus du manque de tous ces temps, de toutes ces personnes qui remplissaient l’arrière-plan de notre paysage quotidien…
Alors on remplit ce vide avec des réseaux. Le succès fulgurant de réseaux sociaux comme ClubHouse ou TikTok semble pallier pour un temps ces manques, ou plutôt semble remplir les blancs encore non identifiés de nos journées à rallonges devant nos écrans. Les rencontres courtes, inopinées manquent, et avec les réseaux arrivent les liens faibles numériques en partie reconstitués.
Preuve que même si on ne s’en rend pas forcément compte, on tente de combler le vide de ces liens qui n’existent plus.
Prenons garde à ce qu’ils ne nous suffisent pas et à pouvoir encore les remplacer quand la situation le permettra.
Un peu de lecture ?
https://www.theatlantic.com/health/archive/2021/01/pandemic-goodbye-casual-friends/617839/?fbclid=IwAR2PxIFeguiO4uNEYU9o4edjEuvMJ442-8tSbMTVb-0oa96qZeYkomV8iVk
https://www.cnrseditions.fr/catalogue/philosophie-et-histoire-des-idees/le-pouvoir-des-liens-faibles/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mark_Granovetter
Photo by Chang Duong on Unsplash